4.

Vous est-il déjà arrivé d’avoir envie de dire ou même de crier : « Eh, je suis quelqu’un de bien, je ne suis pas débile, j’ai un certain talent « ?

Ce sont très précisément les mots que j’ai hurlés à Times Square. Pas de problème. Personne n’a fait attention à moi.

Normal, puisque j’étais entourée de cinglés.

Sans me soucier de la neige qui tombait dru, je me suis baladée quelques heures avant d’aller chercher Jennie à la sortie de l’école sur la Soixante-treizième Est. J’avais l’impression d’être en loques ; j’espérais simplement que ça ne se voyait pas. Nom de Dieu, quelle journée !

— Allez, lançai-je à Jennie, on va se faire plaisir. Les fêtes de Noël commencent demain. Un gros bisou à ta maman préférée et on s’offre un grand restaurant. Rien que nous deux. Tu veux manger où ? Au Lutèce ? À Windows On The World ? Chez Rumpelmayer ?

Jennie étudia longuement ma proposition, le front plissé, en tirant sur son menton comme elle le fait toujours lorsqu’elle doit prendre une décision importante.

— Et pourquoi pas au MacDo ? Et puis après, on pourrait peut-être aller au ciné ?

Je saisis sa petite main en riant.

— Vendu ! Et un Big Mac, un ! C’est toi qui comptes, ma puce d’amour. Et toi, au moins, tu aimes mes chansons.

— Tes chansons, maman, je les adore.

Et on se remit à jacasser, comme d’habitude. On était « les meilleures amies du monde », « les grandes copines », « les moulins à paroles », « les âmes sœurs », « le couple d’enfer ». On se répétait qu’on ne serait « jamais seules, parce qu’on pouvait compter l’une sur l’autre ».

— Alors, comment s’est passée ta journée, lapinou ? Tu dois être drôlement forte, toi, pour tenir le coup à New York.

Mais c’est vrai qu’on est fortes, toutes les deux.

— Oh, c’était bien, l’école. Tu sais, j’ai une nouvelle copine qui s’appelle Julie Goodyear. Elle est très rigolote. Et Mme Crolius, elle dit que je suis intelligente comme fille.

— Bien sûr. Tu es intelligente, mais tu es aussi jolie et très gentille. Mais tu es encore toute petite, tu sais.

— Oui, mais un jour, je serai plus grande que toi, hein ?

— Oh, oui, sûrement. Je crois que tu feras au moins deux mètres.

Et on continuait, et on continuait…

Les moulins à paroles.

Les meilleures copines.

Et la vérité était qu’effectivement, nous ne nous débrouillions pas trop mal. Nous nous étions habituées à New York. Enfin, presque… Et nous avions peu à peu appris à vivre avec le souvenir de Phillip.

« Tant pis pour Barry Kahn. Tu as loupé ta chance, big boss ! »

 

Quand on arriva à la maison, il faisait aussi noir que dans le cœur de Phillip. Mon sentiment de révolte s’était totalement dissipé mais en apercevant la façade de notre immeuble pourri, j’eus un soudain coup de déprime.

« Misère ! Quand je pense que nous sommes condamnées à habiter ici. Et jusqu’à la fin de nos jours, si ça se trouve ! »

La porte d’entrée s’ouvrit en grinçant méchamment.

Réaction typiquement new-yorkaise.

Et merde ! Plus de lumière dans le couloir et sur le premier palier. On n’y voyait rien.

Seul le réverbère d’en face nous octroyait, via les fenêtres du premier, quelques dessins aussi blafards qu’énigmatiques.

— Dis donc, me chuchota Jennie, il y a de quoi avoir peur. C’est drôlement lugubre.

— Mais non, ce n’est pas lugubre. À New York, on dit que c’est d’enfer.

Je lui pris la main et on se mit à monter l’escalier d’enfer.

Brusquement, je me figeai et j’eus le réflexe de tirer Jennie derrière moi pour la protéger.

Il y avait quelqu’un assis sur le palier, dans la pénombre.

Immobile et silencieux. Quelqu’un de grand, solidement bâti.

Problème, problème. Là, il y avait vraiment de quoi avoir peur.

Je m’approchai de la silhouette en faisant très attention et, tout en songeant aux histoires horribles que j’avais entendues sur New York et aux horreurs que j’avais moi-même récemment vécues à West Point, je lançai :

— Bonsoir ! Qui est-ce ? Ohé ?

L’inconnu paraissait porter quelque chose sur la tête.

Comme un haut-de-forme bizarre. C’était à n’y rien comprendre.

L’impensable me traversa alors l’esprit. Phillip ! Je savais bien que ça ne tenait pas debout, mais l’espace d’un instant, c’est ce que je me dis.

C’était l’une des grandes spécialités de Phillip. Surgir de derrière un buisson ou une porte de placard pour m’effrayer et s’offrir une bonne tranche de rire à mes dépens. Une fois, à Halloween, il m’était tombé dessus déguisé en Indien, en brandissant un tomahawk. J’avais eu la frousse de ma vie.

Mais la dernière fois, évidemment, c’est moi qui l’ai surpris quand il m’a vue l’arme au poing et que j’ai tiré et tiré…

« Mais Phillip est bien mort, me dis-je, et les fantômes n’existent pas, même à New York. »

Tout doucement, je me rapprochai. La silhouette ne bougeait toujours pas.

— Ohé ! criai-je une nouvelle fois. Ce n’est pas drôle. S’il vous plaît, dites-moi quelque chose. Ne serait-ce que bonsoir.

Le bruit de nos pas sur les marches me rappelait Phillip quand il nous traquait dans la maison.

Assaillie par mes vieilles terreurs, j’étais au bord de la crise de nerfs. Je dus me forcer à monter jusqu’au palier.

Derrière, Jennie, que ma peur commençait à gagner, murmura :

— C’est qui, maman, dis ?

« Pas deux fois, me disais-je. Tu nous as fait du mal une fois, mais il n’y aura pas de deuxième fois, et tu peux me croire. »

Je plongeai sur la silhouette menaçante et la frappai de toutes mes forces avec ma mallette bien lestée.

Quand l’inconnu s’effondra sans opposer la moindre résistance, je compris et j’éclatai de rire, soulagée, mais le cœur encore battant.

— Ouille !

Jennie me rejoignit en riant. « Phillip » n’était qu’un panier géant garni de roses aux longues tiges. Il devait y en avoir pour plusieurs centaines de dollars.

J’ouvris le message qui les accompagnait.

 

À l’attention de Maggie Bradford.

Quelques fleurs pour célébrer votre réhabilitation. Si vous tenez absolument à travailler avec moi, vous êtes folle mais je vous engage. Mon temps « ô combien précieux » a passé bien vite, aujourd’hui, grâce à vous. Et je suis sincère.

 

Barry

 

Un vrai gag, quand on y repense. En tout cas, cela s’était bien terminé. Mais au moment où j’écris ces mots, une question me travaille et cet épisode me fait nettement moins rire.

Quand je suis en difficulté, ma première réaction est-elle toujours de tuer ?

Me suis-je rendue coupable de meurtre, et ce à deux reprises ?

De nombreuses personnes sont de cet avis, et parmi elles un procureur new-yorkais.

Il y a d’abord eu Phillip Bradford.

Puis… Will.

LA DIABOLIQUEpourepub
titlepage.xhtml
LA DIABOLIQUEpourepub_split_000.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_001.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_002.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_003.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_004.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_005.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_006.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_007.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_008.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_009.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_010.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_011.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_012.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_013.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_014.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_015.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_016.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_017.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_018.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_019.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_020.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_021.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_022.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_023.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_024.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_025.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_026.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_027.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_028.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_029.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_030.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_031.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_032.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_033.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_034.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_035.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_036.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_037.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_038.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_039.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_040.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_041.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_042.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_043.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_044.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_045.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_046.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_047.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_048.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_049.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_050.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_051.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_052.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_053.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_054.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_055.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_056.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_057.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_058.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_059.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_060.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_061.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_062.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_063.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_064.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_065.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_066.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_067.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_068.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_069.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_070.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_071.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_072.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_073.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_074.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_075.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_076.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_077.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_078.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_079.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_080.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_081.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_082.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_083.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_084.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_085.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_086.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_087.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_088.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_089.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_090.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_091.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_092.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_093.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_094.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_095.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_096.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_097.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_098.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_099.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_100.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_101.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_102.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_103.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_104.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_105.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_106.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_107.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_108.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_109.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_110.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_111.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_112.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_113.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_114.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_115.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_116.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_117.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_118.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_119.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_120.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_121.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_122.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_123.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_124.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_125.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_126.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_127.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_128.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_129.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_130.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_131.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_132.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_133.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_134.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_135.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_136.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_137.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_138.htm